Le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine n’impose pas la sanction pénale des actes involontaires ayant entraîné une interruption de grossesse
Jérôme LEBORNE.
Doctorant en droit privé à l’Université de Toulon, CERC.
Assistant de justice au parquet du Tribunal de Grande Instance de Toulon.
Résumé : La personnalité juridique est attribuée à tout être humain au moment de la naissance. Si l’enfant à naître n’est pas une personne juridique selon la conception civiliste, le préambule de la Constitution de 1946 garantit néanmoins le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. Dans l’arrêt rendu le 12 juin 2018, la Cour de cassation a refusé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité aux motifs qu’elle n’était pas sérieuse, car le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie n’impose pas une protection pénale des atteintes involontaires à la vie de l’enfant à naître, ce dernier étant protégé par un régime particulier.
Cass. crim., 12 juin 2018, n°17-86.661
Attendu que la question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
« L’article 221-6 du code pénal, tel qu’interprété par la Cour de cassation, en ce qu’il ne réprime pas, au titre de l’homicide involontaire, l’atteinte portée à l’enfant à naître, privant ainsi le foetus de toute protection, est-il sous l’angle des droits et libertés garantis par la Constitution, en particulier le préambule de la constitution du 27 octobre 1946 qui garantit le droit au respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, entaché d’incompétence négative ? » ;
Attendu que la disposition législative contestée est applicable à la procédure et n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel ;
Mais attendu que la question, ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application, n’est pas nouvelle ;
Et attendu que la question posée ne présente pas un caractère sérieux, dès lors que, d’une part, le principe du respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, qui tend à assurer le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, n’impose pas que les actes involontaires ayant entraîné une interruption de grossesse soient pénalement sanctionnés, d’autre part, la protection de l’enfant à naître se trouve assurée par d’autres dispositions législatives ;
Par ces motifs :
DIT N’Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;
Commentaire
Dans la vie, c’est par la naissance et à la naissance, au moment de l’accouchement, que l’enfant, qui était jusque-là pars viscerum matris, « un morceau des entrailles de sa mère », devient un être distinct.
En droit, il ressort de la combinaison des articles 318(1) et 725(2) alinéa 1er du Code civil que la naissance est la condition sine qua non de l’attribution de la personnalité juridique. « La naissance est le point de départ de la personnalité »(3). Il faut naître pour acquérir la personnalité juridique et tout homme acquiert la personnalité juridique en naissant.
Toutefois, dire que la personnalité juridique s’acquiert par la naissance est un « raccourci »(4). Si certains auteurs parlent d’un « principe de simultanéité » signifiant « qu’un individu accède à la personnalité juridique à l’instant où il naît »(5), la naissance ne confère pas à elle-seule la personnalité juridique. La naissance en est certes la condition, mais elle n’en est pas la condition suffisante(6). Encore faut-il que l’enfant naisse vivant et viable.
Naître vivant signifie que, à la naissance, l’enfant doit respirer complètement, les fonctions essentielles doivent être remplies. L’enfant mort-né ou décédé au cours de l’accouchement est considéré comme n’ayant jamais eu la personnalité juridique(7).
Naître viable consiste à avoir la capacité naturelle de vivre. L’enfant qui naît vivant et qui décède quelques heures plus tard, car tous ses organes n’étaient pas « opérationnels », n’est pas considéré comme viable. Il n’a pas et n’a jamais eu la personnalité juridique. En revanche, un enfant qui naît vivant et meurt peu après, par accident par exemple, a définitivement acquis la personnalité juridique, même si cela n’a duré que quelques minutes(8).
S’il faut naître, vivant et viable, pour acquérir la personnalité juridique, quid du statut de l’enfant à naître ? Dans l’arrêt rendu le 12 juin 2018, la chambre criminelle de la Cour de cassation confirme une jurisprudence désormais bien établie selon laquelle, l’enfant à naître n’ayant pas la personnalité juridique, l’article 221-6 du Code pénal réprimant l’homicide involontaire n’a pas à s’appliquer, l’enfant conçu demeurant protégé par un régime particulier. Cette décision apparaît critiquable car le régime confus de protection de l’enfant conçu (II) ne justifie pas le refus de le protéger pénalement (I).
I. Le refus de protéger pénalement l’enfant conçu
Le rappel des faits est limité. « Était en cause le Centre hospitalier universitaire de Limoges, à qui, apparemment, étaient reprochés certaines fautes lors d’un accouchement, qui avaient abouti à la mort de l’enfant à naître »(9).
La question prioritaire de constitutionnalité concernait l’interprétation de l’article 221-6 du Code pénal, telle que réalisée par la Cour de cassation, et son éventuelle contradiction avec le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie garanti par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Pour refuser de transmettre la QPC aux juges constitutionnels, la chambre criminelle de la Cour de cassation estime que la question n’est pas sérieuse car le principe du respect de l’être humain dès le commencement de sa vie n’impose pas que l’enfant conçu soit protégé pénalement des actes involontaires ayant entraîné une interruption de grossesse. En d’autres termes, pour la chambre criminelle, le lien entre le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie et la protection pénale des atteintes involontaires à la vie de l’enfant à naître, n’est pas établi.
À la suite d’accidents subis par des femmes enceintes, provoquant la mort de l’enfant, la question s’est posée de savoir si le fait de causer la mort involontaire d’un foetus pouvait être qualifié d’homicide involontaire sur « autrui » incriminé par l’article 221-6 du Code pénal. Depuis un arrêt de principe rendu en assemblée plénière le 29 juin 2001(10), la Cour de cassation répond par la négative aux motifs que, selon l’interprétation stricte de la loi pénale, le foetus n’a pas la personnalité juridique. N’étant pas « autrui », il ne relève pas du champ d’application de l’article 221-6 du Code pénal. Pour reprendre l’analyse d’un auteur, « on ne peut pas tuer quelqu’un qui n’est pas vivant parce qu’il n’est pas encore né »(11). En revanche et selon cette logique, si une mère enceinte de huit mois lors de l’accident, accouche et que le nouveau-né décède une heure après des suites des lésions subies lors de l’accident, il y a homicide involontaire, car l’enfant est né vivant et viable et a acquis la personnalité juridique avant de mourir(12).
Issu de la loi du 29 juillet 1994 sur le respect du corps humain, l’article 16 du Code civil dispose que la loi « garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». L’article 221-6 du Code pénal réprimant l’homicide involontaire se trouve dans la section intitulée « Des atteintes à la vie ».
Le texte réprime « la mort d’autrui » sans que le terme « autrui » reçoive une définition juridique. Dans le langage courant, celui-ci signifie « les autres ou l’autre » (Littré). D’autres articles du Code pénal y recourent pour désigner « abstraitement la victime de l’infraction »(13).
Sur le plan biologique, l’enfant à naître possède une individualité propre, il est un autre ; « la femme enceinte porte en elle une autre vie »(14).
Dès lors qu’il est établi que l’enfant était bien vivant dans le ventre de sa mère et que les faits ont causé sa mort, l’atteinte à la vie du foetus est consommée(15). « C’est, de toute évidence, à l’être de chair et de sang, à la personne biologique ou physique que le Code pénal accorde sa protection sous l’angle des violences même les plus légères. Par suite, la personne humaine du droit pénal se confond manifestement avec l’être humain que mentionne l’article 16 du Code civil. Ce texte […] distingue la personne, sujet de droits, de l’être humain, lequel est respectable en soi, sans autre condition, dès le commencement de sa vie »(16).
À ce titre, il faut mettre en exergue que la personnalité juridique n’est pas une condition de la protection pénale du vivant. Les atteintes à l’environnement et aux animaux(17) sont pénalement réprimées sans que ces vivants soient dotés de la personnalité juridique.
Force est de constater qu’aucune disposition ni aucun principe – tel le principe d’application stricte de la loi pénale – ne s’opposent à ce qu’un enfant conçu soit considéré comme « autrui ». S’interdire de considérer l’enfant conçu comme « autrui » ressort du seul vouloir de la Cour de cassation.
En subordonnant le respect de la vie à la personnalité juridique, la chambre criminelle remet en cause l’autonomie même du droit pénal. En privilégiant la conception civiliste de la personne, elle opère un tri dans le vivant, érige des frontières, établit des catégories destinées à délimiter parmi le vivant lequel mérite ou non une protection pénale.
Nul doute que l’immixtion du droit pénal fait craindre une remise en cause du droit à l’IVG(18) Mais cette crainte est essentiellement alimentée par le renversement du principe et de l’exception(19). L’IVG n’est pas le principe, elle n’est pas le droit ; l’IVG est l’exception au respect de l’être humain dès le commencement de sa vie(20). Le principe, c’est que le droit pénal interdit de tuer. Mais s’il réprime les atteintes à la vie, il prévoit des exceptions, en permettant la suppression des foetus conformément aux dispositifs prévus de l’IVG. En restituant la place qui revient au principe et à l’exception – qui confirme le principe -, il n’existe aucune incompatibilité entre la protection pénale de l’enfant à naître et la pratique de l’IVG(21).
En définitive, si la Cour de cassation proclame qu’il n’y a pas de lien entre le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie et la protection pénale des atteintes involontaires à la vie de l’enfant à naître, c’est tout simplement parce qu’elle refuse de le faire. La réponse apportée est d’ordre purement politique et elle n’est nullement étayée par son retranchement derrière le régime confus de protection de l’enfant conçu.
II. Le régime confus de protection de l’enfant conçu
Pour constater que la question prioritaire de constitutionnalité n’est pas sérieuse, la Cour de cassation se réfugie sur le régime de « la protection de l’enfant à naître [qui] se trouve assurée par d’autres dispositions législatives ».
Selon le Comité consultatif national d’éthique, l’embryon est une « personne humaine potentielle »(22) qui ne peut en aucun cas être considéré comme un « déchet hospitalier »(23). Mais est-il pour autant protégé pour ce qu’il est ? « Toute la difficulté tient aux divergences d’appréciation sur le moment à partir duquel on peut considérer que la vie commence »(24).
L’article 1er de la loi Veil du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse énonce que « la loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu’en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi ». L’article 16 du Code civil proclame une disposition analogue, que la loi « garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». Toutes les déclarations des droits de l’homme consacrent un droit à la vie (article 2 de la Convention. EDH ; article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme ; article 2 § 1 de la Charte de l’Union européenne ; article 6 § 1 du Pacte international de New York). Le droit à la vie, visé par toutes ces déclarations, concerne-t-il l’enfant conçu, même au stade de l’embryon ? Doit-on faire la distinction entre l’embryon et le foetus ; accorder la personnalité juridique selon un seuil « à partir duquel l’enfant devient apte à ressentir la souffrance, la douleur et l’angoisse »(25) ?
Il est peu d’espoir que la protection de l’enfant à naître vienne de la Cour européenne. Dans un arrêt du 8 juillet 2004 Vo c/France, elle a déclaré que le point de départ du droit à la vie relevait de l’appréciation de chaque État, et que la potentialité de cet être et sa capacité à devenir une personne devaient être protégées au nom de la dignité humaine(26).
L’enfant à naître est donc considéré comme une vie humaine qui vaut protection, bouleversant la catégorie des personnes et des choses, mais paradoxalement il est de moins en moins protégé puisqu’il peut être congelé, transféré, détruit, faire l’objet de recherches…Cette manipulation du vivant relativise cette protection et fait de l’enfant conçu ni plus ni moins une chose à la disposition des hommes.
Force est de constater que la justification d’une absence de protection pénale de l’enfant à naître, apportée par la chambre criminelle dans l’arrêt du 12 juin 2018, ne tient pas.
1 « Aucune action n’est reçue quant à la filiation d’un enfant qui n’est pas né viable »
2 « Pour succéder, il faut exister à l’instant de l’ouverture de la succession ou, ayant déjà été conçu, naître viable »
3 A. BATTEUR, Droit des personnes, des familles et des majeurs protégés, L.G.D.J, 7ème éd., 2013
4 G. CORNU, Droit civil. Introduction. Les personnes. Les biens, Montchrestien, coll. Domat droit privé, 12ème ed., 2005, p.205
5 B. TEYSSIÉ, Droit des personnes, LexisNexis, 20 éd., 2018, p.18
6 La naissance n’est pas toujours la condition nécessaire de la personnalité juridique. Selon l’adage jurisprudentiel infans conceptus pro nato habetur quoties de commodise jus agitur, « l’enfant conçu est réputé né chaque fois qu’il y a va de son intérêt », la personnalité juridique peut s’attribuer rétroactivement à la conception de l’enfant si l’enfant naît, ensuite, vivant et viable. L’enfant simplement conçu peut être titulaire de droits antérieurement à sa naissance : il peut faire l’objet d’une reconnaissance, bénéficier d’une donation, recueillir une succession…
7 M. BRUSORIO-AILLAUD, Droit des personnes et de la famille, Bruylant, coll. Paradigme, 9ème ed., 2018-2019
8 L’article 79-1, alinéa 1er, du Code civil prévoit que lorsque l’enfant est décédé avant que sa naissance ait été déclarée, l’officier de l’état civil établit un acte de naissance et un acte de décès sur production d’un certificat médical indiquant que l’enfant est né vivant et viable. En l’absence de certificat médical ou lorsque l’enfant n’est pas né vivant et viable, l’article 79-1 alinéa 2 prévoit que l’officier de l’état civil établit un acte d’enfant sans vie mais cet acte n’attribue pas la personnalité juridique, il constitue une sorte de deuil pour les parents, une reconnaissance d’une vie qui a existé quelques instants.
9 Y. MAYAUD, « La protection pénale du foetus ? N’y revenons plus ! », RSC, 2018, p.898
10 Cass. ass.plén., 29 juin 2001, n°99-85.973 : « Le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, s’oppose à ce que l’incrimination prévue par l’article 221-6 du Code pénal, réprimant l’homicide involontaire d’autrui, soit étendue au cas de l’enfant à naître dont le régime juridique relève de textes particuliers sur l’embryon ou le foetus » ; Confirmé notamment par Cass.crim., 25 juin 2002, n°00-81.359 ; Cass.crim.,4 mai 2004, n°03-86.175
11 V. LARRIBEAU-TERNEYRE, Droit civil. Introduction. Biens. Personnes. Famille, Dalloz, coll. Sirey, 20ème éd., 2018, pp.308-309, spéc p.309
12 Cass.crim., 2 décembre 2003, Bull. crim, n°230
13 J. SAINTE-ROSE, « Une dépénalisation jurisprudentielle : l’enfant à naître ne peut jamais être victime d’un homicide », Droit de la famille, n°10, octobre 2015, étude 13, n°7
14 Ibid
15 G. CORNU, op cit., pp.205-208, spéc p.207
16 J. SAINTE-ROSE, op cit. n°11
17 Articles : R.653-1 (atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité physique), R.654-1 (mauvais traitements), R.655-1 (atteintes volontaires à la vie ou à l’intégrité physique) et 521-1 du Code pénal (sévices graves et abandon) ; Article L.415-3 du Code de l’environnement (destruction d’espèces sauvages protégées)
18 Article L.2212-1 et s. du Code de la santé publique
19 M. DOUCHY-OUDOT, Droit civil 1ère année. Introduction. Personnes. Famille., Dalloz, coll. HyperCours, 8ème éd., 2015, pp.190-191
20 Article L.2211-2 du Code de la santé publique
21 G. CORNU, op cit
22 Avis n°3 du 23 octobre 1984 sur les problèmes éthiques nés des techniques de reproduction artificielle
23 Avis n°89 du 22 septembre 2005 à propos de la conservation des corps des foetus et enfants mort nés
24 M.DOUCHY-OUDOT, Droit civil 1ère année. Introduction. Personnes. Famille., Dalloz, coll. HyperCours, 8ème éd., 2015, pp.191-192, spéc p.191
25 J-P. MARGUÉNAUD, « La personnalité juridique du foetus humain », in Personnes et Familles, Hommage à Jacqueline POUSSON-PETIT, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2016, pp.139-150, spéc p.140
26 CEDH, 8 juillet 2004, req. n°53924/00