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Le chien, un nouvel assistant judiciaire…LOL

Jérôme LEBORNE,
Doctorant en droit privé à l’Université de Toulon, CERC
Assistant de justice au parquet du Tribunal de Grande Instance de Toulon

Labrador de trois ans, « tout de noir poilu, la truffe humide et l’œil doux »[1], LOL est le premier Chien d’Assistance du Tribunal (C.A.T). Frédéric Almendros, procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de Cahors, est à l’origine de la Convention d’Accompagnement des Victimes et de l’Enfance par le chien (C.A.V.E CANEM), récemment conclue entre le ministère de la Justice et les différents acteurs judiciaires du ressort de la Cour d’appel d’Agen.

L’objectif est de former un chien pour assister les victimes d’infractions pénales dans le procès pénal. Le chien serait affecté auprès des victimes de tentatives d’homicide, de viol ou d’agression sexuelle aggravée, les victimes de violences habituelles sur conjoint ou concubin, sur mineur de 15 ans ou une personne vulnérable mais également d’enfant en bas âge devant être entendu comme témoin dans le cadre de violences conjugales[2]. La victime bénéficie de la présence, apaisante et rassurante, du chien qui l’assiste pendant les différentes étapes de la procédure : expertises, auditions, confrontations, audience… « Son boulot, c’est d’être dans l’interaction sans action, d’apporter du réconfort sans agir, c’est sa passivité qui apaise »[3]. Le chien est un soutien psychologique avec des bénéfices secondaires en termes de réduction de stress. Le procureur s’est notamment appuyé sur des études américaines montrant que plus de 80% des bénéficiaires verbalisent les faits au contact du chien contre seulement 30% hors sa présence[4].

Deux premières expériences ont permis de libérer la parole. Dans la première affaire, une fillette, convoquée pour un entretien à la brigade de gendarmerie, avait refusé de descendre du véhicule de ses parents. Au moment de la seconde convocation, elle était mise en contact avec LOL sur le parking et acceptait de le suivre. Elle a parlé pendant 40 minutes sans jamais lâcher le chien assis à côté d’elle et s’est même directement adressée à lui. Dans une seconde procédure, où l’enfant était moins attendri par le chien, ce dernier a su adapter son comportement afin d’apporter la confiance nécessaire à l’enfant pour être auditionné[5].

Cette capacité relationnelle de l’animal est également mise au profit des détenus dans le cadre de la « médiation animale ». À ne pas confondre avec la zoothérapie où l’animal est une aide au soin apporté au patient, la médiation animale est une relation triangulaire dans laquelle l’animal est « un assistant, une aide à une action d’un être sur un autre par le biais d’une interaction avec l’animal »[6]. Le but de la médiation animale est la recherche des interactions positives issues de la mise en relation intentionnelle homme-animal. Ainsi, l’une des expériences initiées dans une prison française avec l’association de médiation animale Evi’dence, a obtenu le 1er Prix « Initiatives Justice » en 2011. Des animaux, eux-mêmes abandonnés, sont confiés à des détenus, souvent condamnés pour des faits de violences graves, qui sont chargés d’en prendre soin[7].

Les capacités du chien sont telles qu’il « peut éclairer la justice »[8]. En effet, Gilbert Mouthon, professeur vétérinaire et expert inscrit près la Cour de cassation, considère que « les animaux, en particulier le chien, présents sur la scène du crime, victimes ou spectateurs de violences faites sur leurs propriétaires, peuvent apporter des informations à la justice »[9]. Aussi, il relate que des chiens ont pu identifier un être humain familier à partir d’une photographie. Le chien peut reconnaître « un être humain l’ayant stressé pour diverses raisons, par exemple sur la scène d’un crime ». Quant à l’odorat, le chien possède 220 millions de capteurs contre 5 millions pour l’homme, lui permettant de reconnaître « précisément par son odeur un être familier, ou quelqu’un qui l’aura traumatisé lors d’une scène violente ». Le chien perçoit les odeurs trahissant l’état biologique ou émotionnel de l’humain et peut notamment sentir le mensonge. « Les capacités qui s’ouvrent pour la justice sont considérables en particulier pour les interrogatoires des gardés à vue ou des prévenus. Le détecteur de mensonge serait alors animal ». L’expert précise que « le chien s’exprime beaucoup par attitudes. Sa posture engage plusieurs parties du corps qui organisent la communication. Ses mimiques traduisent un état de tension émotionnelle, association des mouvements volontaires et des signaux involontaires. Interprétés, ces signes peuvent apporter un témoignage, au sens latin du terme, à la justice ». Ainsi, il estime que les « connaissances scientifiques sur l’éthologie des animaux ouvrent de nouvelles possibilités d’investigations dans les enquêtes »[10].

En réalité, depuis longtemps déjà, le chien est le meilleur ami du service public[11]. Un nombre considérable de victimes ont été sauvées par des chiens d’avalanche et de décombre. À la préfecture de Paris, au sein de la brigade cynophile qui a notamment pour mission de sauver les personnes de la noyade, l’intervention des chiens est tellement déterminante « que l’on a pu les qualifier d’agents du service public, sans eux, le service ne fonctionnerait pas »[12]. Les plus célèbres d’entre eux demeurent les chiens-policiers qui grâce à leur flair surdéveloppé[13] sont dressés à trouver des produits stupéfiants ou explosifs et interpeller les fuyards. Faut-il rappeler l’émotion mondiale après la mort de DIESEL, chienne du RAID envoyée en reconnaissance à l’intérieur de l’immeuble de Saint-Denis dans lequel s’étaient retranchés plusieurs auteurs des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, abattue par l’un des terroristes réfugiés. Sur les réseaux sociaux, des dizaines de milliers d’hommages lui étaient rendus par le relais de l’hashtag « Je suis un Chien » faisant écho à « Je suis Charlie », « donnant à entendre que la mort d’un chien d’assaut victime du devoir se situe sur le même plan que celle des journalistes de l’hebdomadaire satirique »[14]. Une pétition réclamait que la chienne soit décorée à titre posthume de la Médaille d’honneur pour acte de courage et de dévouement à l’instar d’un policier ou militaire mort au cours d’une mission. Par ailleurs, deux policiers de l’unité canine de Marseille souhaitent développer une maison de retraite pour chiens-policiers[15].

Force est de constater que « nous assistons à l’importance grandissante de la contribution que les animaux peuvent apporter à la justice »[16]. Si les animaux ne sont plus uniquement de fidèles compagnons et tendent à devenir de véritables acteurs de la justice, il faudrait par conséquent songer à créer un statut de l’animal dans le procès pénal.

[1] E. FILS, « Ne faites pas attention au chien ! » JCP, n°19, 13 mai 2019, 501
[2] F. RAOULT, « LOL, premier chien d’assistance judiciaire – Trois questions à Frédéric Almendros », Dr.pén.n°5, mai 2019, entretien 3.
[3] E. FILS, « Ne faites pas attention au chien ! » JCP, n°19, 13 mai 2019, 501.
[4] F. RAOULT, « LOL, premier chien d’assistance judiciaire – Trois questions à Frédéric Almendros », Dr.pén.n°5, mai 2019, entretien 3.
[5] E. FILS, op cit.
[6] C. JAMET, « Droit et médiation animale ? », RSDA, 2/2014, p.436, spé.p.466
[7] C. JAMET, « Droit et médiation animale ? », RSDA, 2/2014, p.436, spé.p.468
[8] G. MOUTHON, « L’animal “témoin“ en justice », Experts, n°119, avril 2015, p.35
[9] Ibid, p.33
[10] Ibid, p.35
[11] M. CANEDO, « Les animaux du service public. État des lieux », in Le droit administratif : permanences et convergences. Mélanges en l’honneur de Jean-François LACHOUME, Dalloz, 2007, pp.165-233
[12] H. PAULIAT, « Les animaux et le droit administratif », Pouvoirs, n°131, 2009, 57.
[13] S. MARCHAL, B. FERRY, « La fiabilité du flair des chiens policiers », Experts, n°127, août 2016, chronique « sciences et crimes »
[14] J.-P. MARGUÉNAUD, « Diesel, chienne d’assaut mort sur la frontière de l’animalité et de l’humanité », RSDA, 1/2015, p.16.
[15] Fondation 30 millions d’amis, « Ils créent une maison de retraite pour chiens-policiers », 30 avril 2019, (en ligne)
[16] G. MOUTHON, op cit., p.35

Crédits photo : Two Labrador Retrievers. Flickr user dmealiffe