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Le droit du travail « par » le droit au séjour

Nathan LE MASSON
Doctorant contractuel en droit public, CERC.

Résumé : Pour bénéficier du droit d’exercer une activité salariée, l’étranger, une fois son titre de séjour expiré, est tenu d’en avoir demandé le renouvellement dans un délai de deux mois précédant cette expiration. Cette obligation est fixée aux dispositions des articles L.311-4 et R.311-2 4° du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), dans leur rédaction antérieure aux lois n°2018-778 du 10 septembre 2018 et n°2019-141 du 27 février 2019 et avant leur abrogation par l’ordonnance n°2020-1733 du 16 décembre 2020. Dans l’arrêt du 29 novembre 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation a combiné la lecture de ces deux articles et qualifie comme « cause objective » de rupture du contrat l’absence de démarche du salarié étranger dans le renouvellement de son droit au séjour, laquelle conditionne son droit d’exercer une activité professionnelle.

Cass. Soc., 29 novembre 2023, n° 22.-10.004

Sur le fondement des articles L.311-4 et R.311-2 4° du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), dans leur rédaction antérieure aux lois n°2018-778 du 10 septembre 2018 et n°2019-141 du 27 février 2019 ;

« L’employeur fait grief à l’arrêt de dire que le licenciement du salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse, de le condamner à lui payer certaines sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, […], alors “ que si, […] entre la date d’expiration de la carte de résident et la décision prise par l’autorité administrative sur la demande de renouvellement, dans la limite de trois mois à compter de cette date d’expiration, l’étranger peut justifier de la régularité de son séjour par la présentation de la carte arrivée à expiration et conserve pendant cette période son droit d’exercer une activité professionnelle, c’est à la condition qu’il ait effectivement déposé une demande de renouvellement du titre expiré dans le délai imparti par l’article R. 311-2, 4° du même code, à savoir au cours des deux derniers mois précédant l’expiration de celui-ci, ce dont il doit pouvoir justifier auprès de son employeur “ ».

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué (Cour d’appel de Dijon, 22 juillet 2021) que M.I, ressortissant étranger, a été recruté en qualité d’agent de sécurité confirmé par la Société GLN sécurité, aux droits de laquelle se trouve la société Seris Security, suivant un contrat de travail du 2 janvier 2003 ; que titulaire d’une carte de résident expirant le 2 janvier 2017, son employeur lui a signifié par lettre recommandée du 21 décembre 2016 une demande de délivrance d’un nouveau titre de séjour, précisant qu’à défaut, la prestation de travail ne serait plus possible à compter du 2 janvier 2017 (dernier jour de validité de son titre de séjour) ; qu’une relance par mise en demeure lui a été adressée à cette même fin le 28 décembre 2016 ; enfin, que son employeur lui a effectivement notifié la rupture de son contrat de travail le 23 janvier 2017 pour absence de titre de séjour lui permettant de travailler sur le territoire français ;

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Attendu, d’une part, qu’en retenant la régularité du séjour du demandeur sur le territoire français et, d’autre part, en retenant que les dispositions déterminées par l’article R.311-2 4° du CESEDA portant obligation aux étrangers de demander le renouvellement de leur droit au séjour dans les deux mois précédant l’expiration de la carte de séjour dont ils sont titulaires ne s’appliquait pas à la situation du demandeur, la cour d’appel a violé les textes susvisés en n’appliquant pas les dispositions réglementaires prévues à l’article R.311-2 4° du CESEDA au cas d’espèce ;

D’où il suit qu’ « En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Commentaire

Le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) dispose du statut juridique particulier de l’étranger et du demandeur d’asile sur le territoire français. Lorsque les étrangers bénéficient également du statut de travailleur, ici salarié, leurs sont également applicables des dispositions générales de droit commun prévues par le Code du travail.

Il est de jurisprudence constante que la Cour de cassation affirme la prédominance de la régularité du droit au séjour d’un étranger salarié comme condition préalable au bénéfice des droits accessoires[1]. Ainsi, l’irrégularité du séjour constituant une cause objective de rupture du contrat de travail, le salarié étranger ne peut se prévaloir du bénéfice des dispositions protectrices de la maternité[2], des dispositions protectrices pour la représentation du personnel[3] (et contre la discrimination dans ce même cas), de l’obligation de convocation à un entretien préalable de fin de contrat[4](notification par lettre simple), ou encore, du bénéfice d’indemnités de rupture et dommages-intérêts pour licenciement abusif.

Dans l’affaire du 29 novembre 2023, un employeur licencie un salarié étranger dont le titre de séjour a expiré après lui avoir notifié à deux reprises la nécessité de lui faire parvenir sa demande de nouveau titre de séjour. L’employeur est condamné le 22 juillet 2021 par la Cour d’appel de Dijon sur deux chefs : d’une part, le licenciement était sans cause réelle et sérieuse, le salarié étranger conservant un droit au séjour trois mois après l’expiration de son titre de séjour (article L.311-4 alinéa 2 du CESEDA), d’autre part, une disposition réglementaire (article R.311-2 du CESEDA) ne saurait être opposée à un droit reconnu par la loi.

L’employeur formait un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel de Dijon, invoquant notamment le fait que cette protection ne valait qu’à la condition que le salarié étranger justifie avoir engagé une demande de renouvellement de son droit au séjour dans les deux mois précédant l’expiration de celui- ci. Plus précisément, il reproche à la Cour d’appel d’ignorer l’obligation imposée par l’article R.311-2 4° du CESEDA conditionnant la régularité du séjour d’un étranger : « qu’il ait effectivement déposé une demande de renouvellement du titre expiré dans le délai imparti […] à savoir au cours des deux derniers mois précédant l’expiration de celui-ci, ce dont il doit pouvoir justifier auprès de son employeur ».

La chambre sociale de la Cour de cassation accueille le pourvoi par lecture combinée des articles L.311- 4 et R.311-2 4° en subordonnant le droit d’un étranger à exercer une activité professionnelle (prévue par la loi) à une obligation de respecter les démarches relatives à son droit au séjour (dont le cadre d’application est précisé par règlement).

Dès lors, cette décision rappelle que, si le droit au séjour d’un étranger salarié s’accompagne effectivement d’un droit d’exercer une activité professionnelle (I), c’est à la condition, pour ce dernier, de respecter les dispositions réglementaires relatives au renouvellement de son titre (II). À défaut, l’employeur est fondé à rompre pour cause objective la relation de travail.

I. Le caractère secondaire du droit d’exercer une activité professionnelle sur le droit au séjour de l’étranger

L’article L. 8251-1 du Code du travail dispose que « Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France.

Il est également interdit à toute personne d’engager ou de conserver à son service un étranger dans une catégorie professionnelle, une profession ou une zone géographique autres que celles qui sont mentionnées, le cas échéant, sur le titre prévu au premier alinéa ».

Cette interdiction d’ordre public impose directement aux employeurs le contrôle de la régularité du droit au séjour de ses salariés étrangers. Il est ainsi tenu de veiller aux dates de validité de leurs titres de séjour. Ce devoir de vigilance[5], à l’occasion du renouvellement du droit au séjour, constitue une mesure d’ordre public justifiant pour l’employeur, faute de démarches accomplies par le salarié étranger, une rupture de contrat pour cause objective à l’expiration du dernier titre de séjour valide[6].

En l’espèce, l’irrégularité du séjour du salarié étranger est soulignée par la Cour de cassation suivant deux étapes. Pour commencer, elle constate l’expiration du titre de séjour du salarié étranger (2 janvier 2017) à la date de la rupture de son contrat par l’employeur (23 janvier 2017) et elle rappelle, ensuite, l’obligation de disposer d’un titre de séjour valide ou d’une demande de renouvellement de ce dernier sur le fondement de la lecture des articles L. 311-4 et R. 311-2 4° du CESEDA.

Elle s’appuie notamment sur l’obligation légale et préalable pour l’employeur de constater et contrôler la régularité du séjour de ses salariés étrangers afin de justifier la rupture pour cause objective du contrat de travail en vigueur. Or, la régularité dudit séjour de l’étranger salarié ne pouvait être légalement justifiée qu’à partir d’un titre de séjour valide ou d’une demande de renouvellement de ce dernier.

II. Le rappel de la légalité du conditionnement réglementaire du droit au travail par le droit au séjour

Selon l’article (ancien) L. 311-4 du CESEDA, « La détention d’une attestation de demande de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour […] autorise la présence de l’étranger en France sans préjuger de la décision qui sera prise au regard de son droit au séjour […] » ; par ailleurs, cet article prévoit qu’ « Entre la date d’expiration de la carte de résident […] et la décision prise par l’autorité administrative sur la demande tendant à son renouvellement, dans la limite de trois mois à compter de cette date d’expiration l’étranger peut également justifier de la régularité de son séjour [et] il conserve l’intégralité de ses droits sociaux ainsi que son droit d’exercer une activité professionnelle ».

L’article (ancien) R. 311-2 4° du CESEDA fait obligation à tout étranger séjournant régulièrement sur le territoire français de présenter une demande de renouvellement de son titre de séjour dans les deux derniers mois précédant son expiration, sauf s’il est titulaire du statut de résident de longue durée UE accordé par la France en application des articles L. 314-8, L. 314-8-1 et L. 314-8-2 du CESEDA.

Or, l’article R. 5221-3 I° du Code du travail (en vigueur du 1er novembre 2016 au 1erjanvier 2019) disposait également que « L’autorisation de travail peut être constituée par l’un des documents suivants : 1° La carte de résident […] », laquelle permet « l’exercice de toute activité professionnelle salariée ». La Cour d’appel de Dijon avait ainsi assimilé au fait que le salarié étranger était bel et bien titulaire de ce titre de séjour, en l’espèce une carte de résident, à une autorisation de travail valant jusqu’à trois mois après son expiration.

Tandis que la Cour d’appel de Dijon soulignait le caractère accessoire du droit d’exercer une activité professionnelle à la régularité du droit au séjour d’un étranger, celle-ci étant valable trois mois après expiration du dernier titre, la chambre sociale de la Cour de cassation, par lecture combinée des dispositions législatives et réglementaires du CESEDA et du Code du travail, a souligné qu’une disposition réglementaire ne s’opposait pas à un droit prévu par la loi lorsqu’elle vient simplement en préciser le cadre d’application.

En cela, les juges de la chambre sociale de la Cour de cassation maintiennent une position jurisprudentielle constante dans l’interprétation des dispositions législatives citées[7], la particularité de cette solution étant qu’elle s’appuie également sur des dispositions ici réglementaires. Ainsi, ces dernières ne font d’aucune façon obstacle au bénéfice de droits prévus par la loi, mais viennent simplement apporter des précisions réglementaires pour les délais des démarches obligatoires.

À nouveau, la Cour de cassation inscrit sa jurisprudence dans une lecture stricte des dispositions d’ordre public en faisant prévaloir celles-ci, ici la régularité du séjour d’un étranger, sur le bénéfice de droits sociaux rappelés comme accessoires au premier.

Force est de constater que la Cour de cassation applique de facto la portée de l’adage Nemo auditur propriam suam turpitudinem allegans, c’est-à-dire, « Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude»[8]. Ainsi, l’absence volontaire, intentionnelle, d’un salarié étranger de démarches pour renouveler son droit au séjour malgré les demandes en ce sens de son employeur s’oppose au bénéfice du « délai de grâce » de trois mois dans l’exercice d’une activité professionnelle au cours de ladite période de renouvellement.


[1] C. WOLMARK, « Perseverare diabolicum… Le licenciement du travailleur étranger démuni d’autorisation de travail », Dalloz, Droit social 2020. p-627.

[2] 2Cass. soc., 15 mars 2017, n° 11-18.840 ; I. MEYRAT et S. MISIRACA, « Droit du travail et police des étrangers : la Chambre sociale tournerait-elle le dos aux droits fondamentaux ? », Doctrine, Le droit ouvrier, n°828, juillet 2017.

[3] Cass. soc., 5 novembre 2009, n°08-40.923 ; Conseil d’État, 13 avril 1988, n°74346.

[4] Cass. soc., 29 janvier 2008, 06-44.983.

[5] Loi n°2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre – Prolongement de la loi de 1991 sur l’obligation de vigilance.

[6] Cass. soc., 4 juillet 2012, n° 11-18.840, « L’irrégularité de la situation du travailleur étranger constitue en soi et nécessairement une cause justifiant la rupture » ; Cass. soc., 23 nov. 2022, n° 21-12.125.

[7] Cass. soc., 17 novembre 2021, n° 20-11.911, « […]‘article L. 311-4 du CESEDA prévoit qu’un étranger dont le titre de séjour est expiré ne peut se prévaloir du délai supplémentaire de trois mois prévu que s’il a effectué une demande de renouvellement de son titre de séjour ».

[8] Au sens de la formule interprétée couramment de façon générale, sans considération d’un domaine d’application en droit extrêmement restreint. En l’espèce, ladite turpitude repose sur le la négligence du salarié étranger.