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La flagrance, l’indice et le chien – J. Leborne

Jérôme LEBORNE,
Doctorant en droit privé à l’Université de Toulon, CERC
Assistant de justice au parquet du Tribunal Judiciaire de Toulon

Cass. Crim., 11 décembre 2019, n°19-82.457

Le particularisme de l’enquête de flagrance est justifié par la nécessité d’agir rapidement. En effet, si l’on se reporte à l’étymologie, le terme de flagrance vient du latin « flagare », signifiant « ce qui brûle », c’est-à-dire « ce qui est évident, manifeste, actuel, certain »[1]. Il n’y a donc « pas un instant à perdre pour que la réaction sociale se mette en route »[2]. Afin de préserver les preuves et d’appréhender les auteurs, l’enquête de flagrance se caractérise par une extrême souplesse et par l’attribution de pouvoirs très étendus à la police judiciaire qui peut agir de sa propre initiative. « Ici, tout est fondé sur la contrainte »[3]. L’évidence de l’infraction minimise les risques d’atteintes aux libertés individuelles et d’erreur judiciaire puisque l’indice existe clairement, cette évidence explique les pouvoirs coercitifs de la police pendant toute la durée de l’enquête.

Encore faut-il savoir ce qui caractérise une situation de flagrance.

Selon l’alinéa 1 de l’article 53 du Code de procédure pénale, l’infraction flagrante est celle qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre. La jurisprudence a ajouté au critère temporel, un critère d’apparence[4]. Il résulte que, dans un certain temps, l’infraction doit avoir été révélée au policier par un indice apparent d’un comportement délictueux[5]. On l’appelle la « théorie de l’apparence ». Toute la difficulté est de déterminer cet indice apparent. Ce dernier est notamment révélé à l’officier de police judiciaire par l’un de ses cinq sens. « Sa perception, visuelle, auditive, gustative, tactile, olfactive même, souvent fugitive, l’entraîne à une réaction immédiate, dictée par une qualification d’une extrême rapidité »[6]. La Cour de cassation précise dans l’arrêt du 11 décembre 2019 que les sens, cette fois de l’animal, permettent de qualifier la flagrance[7].

En l’espèce, les services de police découvraient un sachet contenant 8,7 grammes de résine de cannabis dans le coffre d’un véhicule stationné sur un parking d’une résidence. Un examen génétique réalisé sur le sachet permettait d’identifier un individu défavorablement connu des services de police. Les fonctionnaires de police se transportaient à l’immeuble dans lequel était domicilié le suspect, en possession d’une autorisation permanente du bailleur, et accompagnés d’un chien spécialisé dans la recherche des produits stupéfiants. Au cours de leur patrouille dans les parties communes de la résidence, le chien marquait un arrêt au niveau de la porte d’un appartement du premier étage. Agissant en flagrance, l’officier de police judiciaire frappait à la porte, en vain, avant de la faire ouvrir à l’aide d’un bélier. Les policiers pénétraient dans le domicile et découvraient l’intéressé dormant sur son canapé. La perquisition du domicile, effectuée en présence du chef de maison, amenait à la découverte de résine de cannabis pour un total de 179,6 grammes.

Poursuivi en procédure de comparution immédiate pour les chefs de détention et d’usage de produits stupéfiants en récidive, le suspect soulevait la nullité de la perquisition en arguant que le marquage du chien ne pouvait pas justifier l’ouverture de l’enquête de flagrance en l’absence de tout autre indice objectif constaté par l’officier de police judiciaire. En jouant sur l’absence d’indice flagrant, le prévenu cherchait à faire tomber les actes subséquents de la procédure notamment la perquisition. Si la flagrance n’était pas caractérisée, les policiers pouvaient agir, par défaut, en enquête préliminaire. Dans ce cadre, la perquisition nécessitait le consentement du chef de maison (article 76 alinéa 1 du Code de procédure pénale), alors que seule sa présence était requise en enquête de flagrance (article 57 du Code de procédure pénale).

Le tribunal correctionnel rejetait la requête en nullité, en retenant que l’action significative du chien spécialement dressé pour rechercher les stupéfiants, constatée par les policiers, constituait l’indice du délit de détention de stupéfiants à l’intérieur du domicile qui pouvait légitimement permettre la perquisition décidée par l’officier de police judiciaire. Condamné pour les faits reprochés, le prévenu interjetait appel. L’arrêt de la Cour d’appel confirmait le jugement correctionnel, en affirmant que le comportement du chien constituait un indice objectif et apparent rendant probable la commission d’infractions, permettant aux policiers d’agir en enquête de flagrance et, par conséquent, de procéder à la perquisition du logement. Le prévenu formait un pourvoi devant la Cour de cassation. La question qui se posait était de savoir si le marquage d’un chien spécialisé pouvait-il constituer l’indice objectif et apparent d’un comportement suspect ?[8]

Les hauts magistrats répondaient positivement et rejetaient le pourvoi. Selon la Cour, le marquage du chien spécialisé devant la porte de l’appartement constituait l’indice objectif et apparent d’un comportement suspect, caractérisant la flagrance.

En d’autres termes, l’action en flagrance est justifiée par la réaction du chien spécialisé. La Cour de cassation reconnait que les capacités sensorielles du chien, ici son flair, constituent un indice objectif et apparent d’un comportement suspect pour l’officier de police judiciaire. En fait, le chien constitue l’indice.

Si les capacités du chien peuvent constituer un indice flagrant, le comportement d’un chien ne pourrait-il pas constituer plus largement, et sur le fondement du principe de loyauté, une preuve ? [9]


[1] C. AMBROISE-CASTÉROT, P. BONFILS, Procédure pénale, PUF, coll. Thémis, 2e éd., 2018.
[2] B. BOULOC, Procédure pénale, Dalloz, coll. Précis, 27e éd., 2019, p.471, n°533.
[3] J. LEROY, Procédure pénale, LGDJ, coll. Manuel, 6e éd., 2019, p.382, n°590.
[4] Cass. Crim., 22 janvier 1953, affaire Isnard, Bull.crim., n°24.
[5] Cass. Crim., 30 mai 1980, Bull.crim., n°165 ; Cass. Crim., 17 novembre 1998, Bull.crim., n°302 ; Cass. Crim., 4 novembre 1999, Bull.crim., n°247.
[6] S. GUINCHARD, J. BUISSON, Procédure pénale, LexisNexis, 12e éd., 2019, p.543, n°678.
[7] Cass. Crim., 11 décembre 2019, n°19-82.457 ; C. BERLAUD, « La flagrance et le flair », Gaz. Pal., 21 janvier 2020, n°3, p.31 ; D. GOETZ, « Flagrance, stupéfiants et indice objectif et apparent d’un comportement suspect : d’utiles précisions », Dalloz actualité, 9 janvier 2020.
[8] D. GOETZ, « Flagrance, stupéfiants et indice objectif et apparent d’un comportement suspect : d’utiles précisions », Dalloz actualité, 9 janvier 2020.
[9] Sur cette question, voir également J. LEBORNE, « Le chien, un nouvel assistant judiciaire… LOL », Les carnets du CERC, Brèves, 1er juillet 2019 (consultable en ligne : https://cerc.hypotheses.org/641 ).