Il faut distinguer les dommages causés au poisson et ceux causés au milieu naturel du poisson
Jérôme LEBORNE
Doctorant en droit privé à l’Université de Toulon, CERC.
Assistant de justice au parquet du Tribunal de Grande Instance de Toulon.
Résumé : L’article L.432-2 du Code de l’environnement réprime la pollution de l’eau qui porte atteinte au poisson et l’article L.216-6 du même code celle qui porte atteinte au milieu aquatique à l’exclusion du poisson. Dans l’arrêt du 16 avril 2019, la chambre criminelle de la Cour de cassation énonce que le champ d’application de ces deux infractions étant distinct, le cumul des poursuites ne méconnaît pas le principe non bis in idem.
Cass. crim., 16 avril 2019, n°18-84.073
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 4 du protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme, 121-2, 132-2 du code pénal, L. 216-6, L. 431-3, L.432-2 du code de l’environnement, préliminaire, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
“en ce que la cour d’appel a déclaré la commune de La Porta coupable de l’infraction de déversement de substance nuisible dans les eaux souterraines, superficielles ou de la mer et de l’infraction de rejet en eau douce ou pisciculture, par personne morale, de substance nuisible au poisson ou à sa valeur alimentaire […] ;
“1°) alors qu’un même fait, autrement qualifié, ne saurait donner lieu à une double déclaration de culpabilité ; qu’en l’espèce, en incriminant sous la double qualification de déversement de substance nuisible dans les eaux souterraines, superficielles ou de la mer et de rejet en eau douce ou pisciculture, par personne morale, de substance nuisible au poisson ou à sa valeur alimentaire le même fait de pollution qui avait été constaté par les agents de l’ONEMA le 5 août 2015, la cour d’appel a méconnu ce principe […] ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que, le 5 août 2015, des agents de l’office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA) ont constaté une pollution organique dans le cours d’eau dénommé Tozzo Bianco, en aval immédiat de la station d’épuration de la commune de La Porta ; que les résultats des prélèvements aussitôt effectués ont révélé un taux élevé de sels ammoniacaux et nitrites toxiques pour les poissons et les invertébrés aquatiques ; que la commune de La Porta a été poursuivie pour avoir jeté, déversé ou laissé s’écouler dans le Tozzo Bianco des nitrites et sels ammoniacaux dont l’action ou les réactions, d’une part, entraînent, même provisoirement, des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la flore ou à la faune, d’autre part, ont détruit le poisson ou nui à sa nutrition, sa reproduction ou sa valeur alimentaire ; que les juges du premier degré l’ont relaxée de ces chefs ; que le ministère public a relevé appel de leur décision ;
Sur le moyen, pris en sa première branche :
Attendu qu’en retenant, d’une part, la qualification de déversement de substances nuisibles à la santé, à la faune et à la flore dans les eaux souterraines, superficielles ou de la mer prévue par l’article L. 216-6 du code de l’environnement, d’autre part, celle de rejet en eau douce ou
pisciculture de substances nuisibles au poisson ou à sa valeur alimentaire prévue par l’article L. 432-2 du même code, la cour d’appel n’a pas méconnu le principe ne bis in idem, dès lors que la seconde incrimination tend à la protection spécifique du poisson que l’article L. 216-6 exclut expressément de son propre champ d’application, de sorte que seul le cumul de ces deux chefs de poursuite permet d’appréhender l’action délictueuse dans toutes ses dimensions ;
D’où il suit que le grief doit être écarté […] ;
Commentaire
En droit, l’animal sauvage – l’individu animal sauvage – n’existe pas. Les animaux sauvages vivants à l’état naturel ne font l’objet d’aucun droit de propriété et sont considérés comme des res nullius. Ils sont exclus du champ d’application du Code pénal protégeant les animaux « domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité »[1].
Toutefois, la loi du 10 juillet 1976 sur la protection de la nature a introduit l’idée que les espèces sauvages devaient être protégées dans leur diversité, représentants du patrimoine commun. Dans ce cadre, ce n’est pas l’animal individualisé dans ses rapports avec l’homme qui constitue la protection mais les liens qui unissent la société avec son environnement. Dès lors, la nécessité de la préservation du patrimoine naturel détermine la protection de la faune sauvage, et partant, la protection pénale de la faune sauvage s’inscrit dans un droit pénal environnemental appréhendant les espèces en tant qu’éléments d’un milieu. En d’autres termes, le droit ne protège pas « le poisson en soi mais le poisson écologiquement lié au milieu naturel aquatique dans lequel il vit »[2]. Ce principe est prévu par l’article L.430-1 du Code de l’environnement qui énonce que « la préservation des milieux aquatiques et la protection du patrimoine piscicole sont d’intérêt général. La protection du patrimoine piscicole implique une gestion équilibrée des ressources piscicoles dont la pêche, activité à caractère social et économique, constitue le principal élément ». Cohabitent alors dans le Code de l’environnement, d’une part, le droit répressif du milieu aquatique (chapitre VI du Titre Ier du livre II), d’autre part, le droit répressif du patrimoine piscicole (chapitre II du titre III du livre IV). Par conséquent, deux articles répriment la pollution des eaux : l’article L.216-6 et l’article L.432-2.
Dans l’affaire du 16 avril 2019, les résultats des prélèvements effectués par les agents de l’office national de l’eau et des milieux aquatiques (ONEMA) établissaient un taux élevé de rejets polluants pour les poissons et les invertébrés aquatiques, dans le cours d’eau du Tozzo Bianco, en aval immédiat de la station d’épuration de la commune de La Porta. Cette dernière était condamnée le 13 juin 2018 par la Cour d’appel de Bastia sur deux chefs : d’une part, la pollution du cours d’eau détruisant le poisson ou nuisant à sa nutrition, sa reproduction ou sa valeur alimentaire (article L.432-2 du Code de l’environnement) et, d’autre part, la pollution du cours d’eau entraînant, même provisoirement, des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la flore ou à la faune (article L.216-6 du Code de l’environnement). La commune formait un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel en invoquant notamment le principe ne bis in idem selon lequel « un même fait, autrement qualifié, ne saurait donner lieu à une double déclaration de culpabilité ». La commune de La Porta arguait que la Cour d’appel avait violé le principe « en incriminant sous la double qualification de déversement de substance nuisible dans les eaux souterraines, superficielles ou de la mer et de rejet en eau douce ou pisciculture, par personne morale, de substance nuisible au poisson ou à sa valeur alimentaire le même fait de pollution ».
La Cour de cassation rejette cette branche du moyen en délimitant le champ d’application des deux incriminations : l’article L.432-2 du Code de l’environnement « tend à la protection spécifique du poisson que l’article L.216-6 exclut expressément ». Cette décision signifie que l’article L.432-2 constitue une protection spéciale du poisson (I) alors que l’article L.216-6 constitue une protection générale du milieu du poisson (II).
I. L’article L.432-2, une protection spéciale du poisson
L’article L.432-2 du Code de l’environnement punit de 18 000 € d’amende « Le fait de jeter, déverser ou laisser écouler dans les eaux mentionnées à l’article L. 431-3, directement ou indirectement, des substances quelconques dont l’action ou les réactions ont détruit le poisson ou nui à sa nutrition, à sa reproduction ou à sa valeur alimentaire ».
La pollution est sanctionnée si elle affecte les eaux mentionnées à l’article L.431-3 du Code de l’environnement, c’est-à-dire les cours d’eau, les canaux et les ruisseaux, ainsi que les lacs, étangs et toute masse d’eau communiquant avec les eaux courantes.
Il vise des substances « quelconques » de pollution. Il peut s’agir, par exemple, du déversement des eaux résiduaires d’un abattoir[3], d’eaux souillées contenant du mazout[4] ou, dans l’affaire du 16 avril 2019, des rejets de nitrites et sels ammoniacaux de station d’épuration.
Quant à l’élément moral, l’article L.432-2 est un délit non intentionnel caractérisé par une imprudence ou une négligence au sens de l’article 121-3 du Code pénal. En l’espèce, si la Cour d’appel reconnaît la difficulté pour une petite collectivité, dont la population croît de façon exponentielle en saison estivale, à respecter les prescriptions environnementales, elle constate néanmoins que, les travaux relatifs aux réseaux d’eaux étant subventionnés et le report des opérations laissant perdurer pendant des années des rejets occasionnant une pollution du milieu aquatique malgré les relances de l’administration, caractérisent une négligence de la commune.
Mais « l’élément le plus caractéristique du délit de pollution des eaux est le dommage causé aux poissons »[5]. Il réprime la pollution de l’eau dont l’action ou la réaction ont pour effet de détruire le poisson[6], nuire à sa nutrition[7], sa reproduction[8] ou sa valeur alimentaire[9]. Reste enfin à établir le lien de causalité entre les substances polluantes et l’atteinte constatée au poisson. En l’espèce, les juges s’appuient sur les résultats des prélèvements effectués qui établissent un « taux élevé de sels ammoniacaux et nitrites toxiques pour les poissons ».
Cependant, la commune de La Porta n’est pas seulement poursuivie des dommages causés aux poissons mais également des dommages causés à la flore et à la faune aquatiques. La Cour de cassation trace le cadre de protection de l’article L.432-2 qui s’arrête au poisson, alors que les limites de l’article L.216-6 sont beaucoup plus larges et dont le but est de protéger le milieu du poisson.
II. L’article L.216-6, une protection générale du milieu naturel du poisson
L’article L.216-6 du Code de l’environnement réprime de 2 ans d’emprisonnement et de 75 000€ d’amende « Le fait de jeter, déverser ou laisser s’écouler dans les eaux superficielles, souterraines ou les eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales, directement ou indirectement, une ou des substances quelconques dont l’action ou les réactions entraînent, même provisoirement, des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la flore ou à la faune, à l’exception des dommages visés aux articles L. 218-73 et L. 432-2, ou des modifications significatives du régime normal d’alimentation en eau ou des limitations d’usage des zones de baignade ».
Une question prioritaire de constitutionnalité interrogeait la compatibilité de l’article L.216-6 du Code de l’environnement avec l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme. La chambre criminelle a considéré que la question était dépourvue du caractère sérieux en estimant que « la rédaction de l’article L.216-6 est conforme au principe de clarté, d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi pénale dont elle permet de déterminer le champ d’application sans porter atteinte au principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines »[10].
Contrairement à l’article L.432-2, toutes les eaux entrent dans le champ matériel de l’article L.216-6 : eau superficielle, eau souterraine, eaux libres, eaux closes et eaux de mer. Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence que le délit réprimé par l’article L.216-6 du Code de l’environnement peut être une infraction intentionnelle ou non intentionnelle. En revanche, il peut apparaître moins sévère que l’article L.432-2 car il érige un fait justificatif « lorsque l’opération de rejet est autorisée par arrêté, les dispositions […] ne s’appliquent que si les prescriptions de cet arrêté ne sont pas respectées ».
Si le comportement est similaire, il demeure une véritable différence de résultat entre les deux infractions. Le champ d’application de l’article L.216-6 est déterminé par exclusion des dommages visés à l’article L.432-2. Aussi, il revêt l’apparence d’un délit résiduel : si la pollution de l’eau ne porte pas spécifiquement atteinte aux poissons, l’article L.216-6 s’applique, réprimant l’atteinte au milieu du poisson. Ils ne visent donc pas la même « chose »[11] : l’article L.432-2 est un délit spécial protégeant le poisson, l’article L.216-6 est un délit général protégeant le milieu du poisson. Ce dernier « est original car il constitue une véritable incrimination générique en matière de pollution des eaux et des milieux aquatiques ». Il permet « de sanctionner de manière globale et autonome les atteintes aux écosystèmes aquatiques »[12].
Dès lors que deux intérêts distincts sont protégés, les juges du fond[13], puis la Cour de cassation[14], ont retenu que le fait de polluer l’eau pouvait être poursuivi de ces deux chefs cumulés. Il n’y a donc pas de violation du principe non bis in idem.
Force est de constater que, si la décision de la Cour de cassation était prévisible, son attendu explicite devrait mettre un terme à la question de la double condamnation. Une « polypollution »[15] permet une polyrépression.
[1] Dans le Livre V du Code pénal
[2] M. PRIEUR, Droit de l’environnement, Dalloz, coll. Précis, 7e éd, 2016, p.563, n°723
[3] CA Rennes, chambre correctionnelle, 12 juillet 1972, n°880
[4] Cass.2ème civ., 18 décembre 1978, n°77-13.482
[5] A.BEZIZ-AYACHE, « Eau », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, 2014, n°49
[6] Cass.crim., 18 juillet 1995, n°94-85.249
[7] Cass.crim., 11 juin 1953, n°53-589
[8] Cass.crim., 5 octobre 1982, n°79-93.143
[9] Cass.crim., 12 décembre 2000, n°99-87.135
[10] Cass.crim., 30 novembre 2010, n°10-90.109
[11] Au sens juridique et au sens commun
[12] E. MONTEIRO, « Pollution de cours d’eau par chlore et faute d’imprudence qualifiée », RSC, 2018, p.437
[13] CA Besançon, 22 mai 1997, RJ envir. 1998.83, note ANGELI
[14] Cass.crim.,16 janvier 2007, n°03-86.502 ; Cass.crim., 1er avril 2008, n°07-83.530
[15] J.-H. ROBERT, « Polypollution », Dr.pénal n°6, juin 2019, comm.109